La paléontologie est une science qui ne cesse de nous surprendre, révélant des chapitres inédits de l’histoire de la vie sur Terre. En 2024, une découverte majeure a captivé l’attention des scientifiques et des amateurs de préhistoire : celle de Magerifelis peignei, un félin ancien dont une mâchoire fossile avait été mise au jour en Espagne près de Madrid. Cette découverte offre un éclairage précieux sur l’évolution des félins et leur diversification au cours du Miocène, une période cruciale pour comprendre l’émergence des grands prédateurs modernes. 

Contexte géologique et historique

Le Miocène, qui s’étend de 23 à 5 millions d’années avant notre ère, est une époque charnière dans l’histoire des mammifères. C’est durant cette période que de nombreuses familles de carnivores modernes, dont les félins, ont commencé à se diversifier. Les environnements changeants, marqués par des fluctuations climatiques et des transformations des écosystèmes, ont favorisé l’émergence de nouvelles espèces adaptées à des niches écologiques variées.

C’est dans ce contexte que Magerifelis peignei a été découvert. Le fossile holotype (05/101/2/3622) a été découvert dans la localité Príncipe Pío-2 à Madrid, en 2007. Il aura fallu attendre 2024, pour que l’espèce soit décrite par un groupe de chercheurs du Museo Nacional de Ciencias Naturales comme un nouveau genre et une nouvelle espèce : Magerifelis peignei.

Au cours du Miocène moyen, il y a environ 15 millions d’années, le climat de Madrid était plus chaud qu’aujourd’hui, tandis que le paysage était dominé par de vastes prairies boisées avec des zones boisées où de nombreuses espèces animales trouvaient refuge. Des restes attribués à ce genre ont également été retrouvés dans d’autres gisements européens, notamment en France et en Allemagne. Ces découvertes ont permis d’étendre l’aire de répartition connue de ce félin et de confirmer son importance dans les écosystèmes européens du début du Miocène.

Un chaînon manquant dans l’évolution des félins

La découverte du Magerifelis peignei a rapidement acquis une importance majeure dans la compréhension de la phylogénie des félins. Avant cette trouvaille, les paléontologues étaient confrontés à un « fossé » dans le registre fossile entre les proailuridés (ancêtres présumés des félins) et les félidés modernes.

Le Magerifelis est apparu comme une forme transitionnelle, présentant un mélange de caractères ancestraux et dérivés qui éclaire l’évolution des félins au début du Miocène. Il a notamment permis de mieux comprendre la transition entre les formes primitives et l’apparition des premiers « vrais » félins du genre Pseudaelurus, considérés comme les ancêtres directs de tous les félins modernes.

Les analyses phylogénétiques récentes placent le Magerifelis comme un taxon frère des Pseudaelurus, formant une branche distincte mais proche de la lignée qui conduira ultérieurement aux félidés actuels. Cette position taxonomique en fait un témoin crucial d’une période de diversification importante dans l’histoire évolutive des carnivores.

Description de Magerifelis peignei

Magerifelis peignei appartient à la sous-famille des Felinae, comprenant les petits chats capables de ronronner grâce à un os hyoïde, mais pas de rugir, au sein de la famille des félins Felidae qui inclut tous les félins modernes et leurs ancêtres. Cependant, ce spécimen présente des caractéristiques anatomiques qui le distinguent des autres félins connus. Les fossiles découverts comprennent des fragments de crâne, des dents et des os des membres, permettant aux scientifiques de reconstituer partiellement son apparence et son mode de vie.

Reconstruction de la mandibule, du crâne, des muscles masticateurs et de l’apparence naturelle de Magerifelis peignei . Crédit image : Jesús Gamarra.

L’une des caractéristiques les plus remarquables de Magerifelis peignei est sa dentition. Ses canines, bien que robustes, sont relativement courtes par rapport à celles d’autres félins préhistoriques comme les célèbres Machairodus (les « tigres à dents de sabre »). Cela suggère que Magerifelis peignei avait un régime alimentaire différent, peut-être plus adapté à la chasse de proies de taille moyenne plutôt qu’à la prédation de grands herbivores.

Les chercheurs ont comparé les caractéristiques de cet os avec celles d’autres félins anciens et modernes. Notre spécimen se distingue par une mâchoire relativement courte et robuste, une dentition spécifique, et la présence d’une molaire inférieure supplémentaire absente chez ses cousins, le tout sur un corps d’une masse estimée à 7,61 kilos, soit un peu plus petit qu’une femelle ou caracal. Ces observations suggèrent que Magerifelis peignei était capable de morsures puissantes, ce qui l’aurait aidé à chasser également des proies de plus grande taille.

Implications pour l’évolution des félins

La découverte de Magerifelis peignei est particulièrement importante car elle comble une lacune dans notre compréhension de l’évolution des félins. Jusqu’à présent, les fossiles de félins du Miocène moyen étaient relativement rares, ce qui rendait difficile la reconstruction de leur diversification. Magerifelis peignei représente un maillon essentiel dans cette chaîne évolutive, montrant comment les félins ont commencé à se spécialiser pour occuper différentes niches écologiques.

Par exemple, la morphologie de Magerifelis peignei suggère qu’il était un prédateur généraliste, capable de s’adapter à une variété de proies et d’environnements. Cette flexibilité pourrait expliquer pourquoi les félins ont réussi à survivre et à prospérer malgré les changements climatiques et les compétitions avec d’autres carnivores. En outre, cette découverte souligne la diversité des félins au Miocène, une époque où plusieurs lignées coexistaient avant que certaines ne s’éteignent et que d’autres ne donnent naissance aux félins modernes.

Un hommage à un paléontologue passionné

Le nom Magerifelis peignei a été choisi en référence à la localité de Magerit, le nom arabe de Madrid à l’époque musulmane, et en hommage à leur collègue et ami Stéphane Peigné, paléontologue français décédé prématurément en 2017, qui avait consacré sa carrière à l’étude des carnivores fossiles.

Perspectives futures

La découverte de Magerifelis peignei ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche sur l’évolution des félins. Les scientifiques espèrent que d’autres fossiles de cette espèce, ou d’espèces apparentées, seront découverts dans les années à venir. Ces découvertes pourraient permettre de mieux comprendre comment les félins ont réagi aux changements environnementaux et comment ils ont interagi avec d’autres carnivores, tels que les canidés, les hyènes et les ursidés.

En outre, l’étude de Magerifelis peignei pourrait éclairer les mécanismes évolutifs qui ont conduit à l’émergence des félins modernes, tels que les lions, les tigres et les chats domestiques. En comparant les caractéristiques anatomiques et écologiques de Magerifelis peignei avec celles des félins actuels, les chercheurs pourront retracer les étapes clés de leur adaptation et de leur diversification.

 

La découverte de Magerifelis peignei est une avancée majeure pour la paléontologie et notre compréhension de l’évolution des félins. Son statut de « chaînon manquant » dans l’évolution des félins en fait une référence incontournable dans les manuels et les publications scientifiques consacrés aux carnivores fossiles.

Les détails de l’étude sont publiés dans le Journal of Vertebrate Paleontology.