À l’époque des moines copistes, ils chassaient les souris tout en profitant de quelques caresses, au passage : depuis, les chats semblent avoir développé une relation privilégiée avec les écrivains. Il faut dire que le petit félin est une compagnie au poil pour les écrivains. Source d’inspiration, il les apaise, les stimule et parfois même devient au détour des pages le héro de leurs histoires…

Colette et la Chatte Dernière

Dés son enfance en Bourgogne, Sidonie Gabrielle Colette apprend à connaitre et à aimer les animaux et plus particulièrement les chats. Ce n’est pas pour rien que sa mère la surnommait « Minet Chéri ». Toujours entourée de chats, dont elle avait besoin pour s’épanouir et écrire, elle les gâtait, leur offrant viande, sucreries, lait. et même des mouches enfilées en brochette sur une épingle à chapeau ! Les matous ont rempli son œuvre :  impossible d’oublier Poum, le petit chat noir diabolique de « la paix chez les bêtes », ni les chats qui miaulent en chœur sur la musique de Ravel dans « l’enfant et les sortilèges » dont elle a écrit aussi le livret. Dans la série des Claudine, c’est Fanchette qu’elle met en scène dans « Claudine à Paris » : « Elle n’a de goût qu’aux nuits claires où, assise, droite, correcte comme une déesse-chatte d’Egypte, elle regarde rouler dans le ciel, interminablement, la blanche lune. ». Et surtout la Chatte Dernière, une chartreuse qu’on retrouve dans « la Chatte » (1933) sous le nom de Saha qui fut le plus grand amour félin de Colette. Elle lui était tellement attachée qu’elle ne lui donna jamais d’autre nom et savait qu’elle ne pourrait même jamais la remplacer. À la mort de la belle chartreuse en 1939, Colette resta fidèle à sa mémoire. Elle se contenta dès lors de caresser les chats anonymes qui fréquentaient les jardins du Palais Royal tout en songeant mélancoliquement à la Chatte Dernière. « La Chatte Dernière, avec son regard d’or, suivait et surveillait la plume de son stylo qui se promenait inlassablement sur les page de vélin bleu…. »

Ernest Hemingway et Snowball

« Le chat est d’une honnêteté absolue : les êtres humains cachent, pour une raison ou une autre, leurs sentiments. Les chats non. » L’auteur de Pour qui sonne le glas (1940) et du Vieil homme et la Mer (1952) était un des amateurs de chats polydactyles (pourvus de six doigts) les plus connus. Ernest Heming­way possédait en effet plusieurs chats polydactyles. Cette passion pour ces chats particuliers lui est venue après qu’il a reçu un chat à six doigts de la part du capitaine d’un bateau. Son nom a d’ailleurs été conservé pour surnommer ces animaux : un « Hemingway cat » ou un « Hemingway » est devenu un mot d’argot pour désigner les chats polydactyles. L’écrivain ressemblait à ses matous. Comme eux, il était un grand baroudeur, un pêcheur hors pair et un jouisseur de la vie. Après sa mort, en 1961, il a légué sa maison de Key West en Floride à ses chers compagnons. Ceux-ci y vaquent aujourd’hui en liberté, un vétérinaire passant les voir une fois par semaine. Tous, ou presque, sont des descendants de Snowball (boule de neige, en anglais), son premier chat à six doigts… La demeure a été transformée en musée en 1964 (Ernest Hemingway Home and Museum) puis a été classée National Historic Landmark en 1968.

Paul Léautaud et Coco, Blanchou, Félix, Grison, Sophie, la Noirochon

L’écrivain a possédé jusqu’à 300 chats et 150 chiens ! « Mais pas en même temps », s’amusait Paul Léautaud. Dans son pavillon de Fontenay-aux-Roses, près de Paris, où il a terminé sa vie en ermite, Coco, Blanchou, Félix, Grison, Sophie et la Noirochon ont vécu aux côtés de l’auteur du Petit Ami (1903), une colonie de chats qu’il transportait en partie dans un landau.. D’autres animaux y ont aussi trouvé refuge : une chèvre, une oie ou encore une guenon ! A la fin de sa vie, leur maître a légué tous ses droits d’auteur à la SPA. Bestiaire est une compilation de textes consacrés aux animaux, et plus particulièrement aux chats, tirés de son Journal littéraire des années 1908 à 1926.

Théophile Gautier et Eponine

L’écrivain aimait dire combien « conquérir l’amitié d’un chat est chose difficile ». Il y est parvenu avec la ­gentille Eponine, qui a tenu une grande place dans la vie de ce « magicien ès lettres françaises », comme le sur­nommait son ami Charles Baudelaire. A Neuilly-sur-Seine, près de Paris, où le poète et auteur de récits fantastiques, né en 1811 à Tarbes, s’est ­installé, cette chatte noire est consi­dérée comme un membre à part entière de la famille. Elle a son propre couvert dressé à chaque repas sur la table de l’écrivain, et son tabouret de piano attitré qui lui permet de suivre la conversation de son maître avec ses illustres invités, Sainte-Beuve, les Goncourt, Mérimée, Pasteur… Et ses beaux yeux verts se posent avec ­tendresse sur le conteur lorsqu’il peaufine Le Roman de la momie (1858) ou encore Le Capitaine Fracasse (1863). Son cher animal l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle, en 1872.

Jean Cocteau et Karoun

« J’aime les chats, parce que j’aime ma maison et qu’ils en deviennent, peu à peu, l’âme visible. » écrivait Jean Cocteau. Le poète écrivain et cinéaste consacrera deux récits à ses animaux de compagnie dans son Journal d’un inconnu (1953) : Contes vrais sur la chatte de M. X et D’une histoire féline. Si Cocteau collectionnait « sentimentalement » ses amis félins, pour son persan bleu, Karoun, l’artiste avait fait graver, non sans humour, sur la médaille du précieux minet : « Cocteau m’appartient. » D’autres félins traverseront sa vie, comme la célèbre siamoise Schli-Fou-Neth, cadeau du cinéaste Jean-Pierre Melville. L’artiste touche-à-tout, dramaturge, cinéaste et dessinateur se serait inspiré d’un de ses chats pour le personnage de la Bête, interprété par son compagnon Jean Marais dans son film La Belle et la Bête, en 1946.

Céline et Bébert

Bébert est le célèbre chat de Louis-Ferdinand Destouches, allias Céline qui n’a pas manqué de parler de son compagnon dans la plupart de ses œuvres : Féerie pour une autre fois, Normande, D’un château l’autre, Nord et Rigodon. Le pauvre Bébert a eu une vie mouvementée. Adopté en 1935 par le comédien Robert Le Vigan, Bébert vécut à Montmartre au sein du couple que formait le comédien avec sa concubine, Tinou. À leur séparation, Bébert fut recueilli par Céline dont il devient le compagnon inséparable. Il le suivit dans son exil avec Lucette, son épouse. Transporté dans un gibecière perforée de trous pour qu’il puisse respirer, le chat connut moult péripéties dans les trains surpeuplés de l’Allemagne dévastée par les bombardements. Ayant décidé de se rendre au Danemark, Céline confia Bébert à un épicier allemand qui s’était attaché à lui. Mais Bébert fugua pour rejoindre Céline et Lucette dans leur chambre d’hôtel puis dans leur voyage pour le Danemark. Ce n’était que le début de ses aventures. Suite à l’arrestation de Céline au Danemark, Bébert est pris en charge par Lucette, et quand cette dernière tomba malade, il demeura avec Céline à l’hôpital de la prison où il se cachait dans un placard. Tous les trois ne reviennent en France qu’en 1951 et s’installent dans une maison à Meudon. Enfin, une retraite heureuse et douillette pour Bébert qui a déjà près de 17 ans. C’est dans ce dernier refuge qu’il mourra quelques mois plus tard. Bébert s’en est allé mais son rôle reste majeur dans l’œuvre de Céline, accréditant les récits de son maitre par sa présence silencieuse, innocente et sans détour, si opposée aux bassesses de ce monde et des humains. L’Académicien Frédéric Vitoux écrira la biographie de Bébert, “Bébert, le chat de Louis-Ferdinand Céline” (1976) c’est ainsi que Bébert, déjà célèbre par ses apparitions dans l’œuvre de son maitre, acquit en quelque sorte l’immortalité.