Bien que proche de l’homme et domestiqué depuis des siècles, le chat reste de nos jours encore symbole de mystère, un animal insaisissable. Plus encore qu’ailleurs, c’est au Japon que ce félin est le plus ancré dans le folklore et la culture populaire. 

Le chat fut introduit au Japon vers le 6ème siècle de notre ère, lorsque des navires ramenèrent de Chine des textes sacrés bouddhistes et des petits félins. Ces derniers protégeaient contre les rongeurs non seulement les réserves de nourriture des bateaux, mais aussi les parchemins transportés. Du fait de cette faculté à préserver les précieux manuscrits, ils furent d’emblée considérés eux aussi comme précieux.

Jusqu’au 10ème siècle, seuls les nobles possédaient des chats. Toutefois, ces derniers prirent au cours des siècles suivants une place croissante dans toutes les couches de la société, au point qu’ils finirent par s’inviter dans la mythologie japonaise. Ainsi, qu’ils soient adorés ou craints, diverses légendes leur sont associés.

Le Bakeneko

Représentation d’un Bakeneko tourmentant des humains, par Utagawa Kunisada

Le chat est un animal clé dans les histoires de fantômes et de yôkai. La légende du Bakeneko (化け猫 chat fantôme) naquit au 17ème siècle, c’est-à-dire au début de l’ère Edo (1603-1868). L’industrie textile se développait alors fortement, entraînant l’apparition de la sériciculture, c’est-à-dire l’élevage de vers à soie. Les chats constituaient alors des alliés de poids pour les éleveurs, puisqu’ils chassaient les rongeurs qui autrement s’en prenaient aux vers.

Il était alors illégal d’acheter ou de vendre les petits félins, qui finirent par pulluler dans les rues. Ces chats errants firent naître le mythe du Bakeneko.

Ce terme signifie « monstre-chat » et désigne un esprit maléfique ayant pris l’apparence d’un chat. Les Japonais conféraient à celui-ci de nombreux pouvoirs, dont la capacité de cracher des boules de feu, de manipuler les morts ou encore de se métamorphoser. Il se dressait sur ses pattes arrière, et ce faisant prenait l’apparence d’un humain. Il pouvait aussi en faire de même après avoir tué et mangé son maître, devenant alors apte à vivre à sa place.

N’importe quel félin ne pouvait toutefois pas être un Bakeneko : le chat devait avoir au moins 13 ans, peser plus d’un kan (3,5 kg) et présenter une longue queue. La particularité du bobtail, d’avoir une queue très courte, découle certainement d’une peur du Bakeneko. À cette époque, les japonais coupaient la queue des chats en vue de les prévenir d’une potentielle et future transformation en créature monstrueuse.

Le Nekomata

Nekomata depuis la série des Hyakkai zukan, réalisée par Sawaki Sūshi.

Le Nekomata fait également partie des yōkai, les célèbres créatures surnaturelles de la mythologie japonaise. Son nom signifie « chat à la queue fourchue ».

La première mention de cet être fantasmagorique remonte à l’ère Kamakura (1185-1333), et plus précisément au 13ème siècle : elle figure en effet dans le Meigetsuki, journal intime du poète Fujiwara no Teika (1162-1241). Il était présenté à l’époque comme un chat des montagnes grand comme un chien, très puissant, méchant et maléfique, et susceptible de se nourrir de chair humaine. Fujiwara no Teika raconte ainsi qu’un Nekomata tua et mangea plusieurs personnes en une nuit à Nanto (le nom d’alors de Nara, ancienne capitale impériale proche de Kyoto et Osaka).

Le mythe concernant ce félin évolua pendant l’ère Edo (1603-1868), notamment parce que sa taille augmenta. En effet, on considérait alors qu’il était aussi gros qu’un sanglier, puis il fut même comparé à un lion.

C’est au milieu de cette période qu’apparurent dans la littérature des métamorphoses de chats domestiques en Nekomatas. Toutefois, seuls étaient concernés des chats très vieux (plus de 10 ans), très gros et avec une longue queue. Cette dernière se fendait alors en deux, si bien que l’animal avait en quelque sorte deux queues. Il acquérait alors la parole, la capacité de créer des illusions, et pouvait se changer en femme âgée. Les Japonais d’alors pensaient donc qu’il fallait éviter de garder un chat domestique trop longtemps, de peur qu’il ne se mue en Nekotoma.

Une des histoires les plus célèbres est celle racontée dans une œuvre dont l’auteur est inconnu qui fut écrite en 1708, le Yamato Kaiiki (que l’on traduit en Histoires mystérieuses du Japon). Elle narre l’histoire d’un samouraï dont la maison est hantée par un fantôme. Le problème cesse lorsque le chat domestique du foyer est tué. Or, ce chat avait deux queues : c’était donc lui qui hantait la demeure.

Légende du chat vampire de Nabeshima

Une autre légende très répandue dès le 17ème siècle raconte l’histoire d’O Toyo, favorite du prince Nabeshima. Tous les soirs, son sommeil était perturbé par un rêve, dans lequel elle s’imaginait épiée par un gros chat. Une nuit, elle se réveilla en sursaut et se trouva face à un imposant chat noir aux yeux phosphorescents. Elle resta tétanisée par la peur et ne put crier. L’énorme animal en profita pour lui sauter à la gorge et l’étrangler. Il alla l’enterrer dans le jardin, puis prit l’apparence de la jeune femme.

Le prince continua à la fréquenter, mais sa santé se détériora rapidement sans que les médecins puissent en comprendre la raison. Son épouse, très inquiète, résolut de le faire surveiller par des vigiles armés. Néanmoins, ces derniers s’endormaient chaque nuit tous en même temps, faillant à leur mission. Un jour, un des gardes demanda la possibilité de rester auprès du souverain. Il décida de s’enfoncer un couteau au niveau du genou et de le laisser dans la plaie, afin que la douleur l’empêche de s’assoupir. Au cœur de la nuit, il fut surpris de voir entrer O Toyo, et l’empêcha de s’approcher de Nabeshima.

Ce scénario se répéta pendant plusieurs nuits, et le prince recouvra progressivement la santé. Ce dernier finit par prendre la décision de se séparer de sa favorite et de la tuer. Lorsqu’elle fut décapitée, ce fut une tête de chat qui roula sur le sol : on réalisa alors que ce chat-vampire buvait le sang du prince chaque nuit, et était donc à l’origine de ses maux.

Le maneki-neko

À l’opposé du Bakeneko, le Maneki-neko est un bon esprit. Contraction de maneku (招く) et neko (猫), manekineko signifie « le chat qui invite ». En effet, il est dit qu’il appelle la chance, le bonheur ou même la richesse, selon la couleur de ce dernier et la patte qu’il lève. De cette manière le chat a un symbolisme très fort au Japon. On le retrouve dans de nombreux temples, à l’entrée commerces, et il a essaimé également dans d’autres pays, à commencer par la Chine et le Vietnam.

Contrairement aux précédentes histoires, celle-ci présente le petit félin sous un jour positif. Les origines exactes de ce mythe restent floues, mais on sait qu’il remonte à l’ère Edo (1803-1868).

Le récit le plus populaire est celui qui met en scène le daimyō (seigneur local) Naotaka Li. Alors qu’il s’était abrité de la pluie sous un arbre au cours d’une partie de chasse au faucon, il échappa à la foudre en se réfugiant dans un temple (le Gotoku-ji, situé aujourd’hui au sein de Tokyo) après que Tama, le chat du moine à la tête des lieux, l’incita à le faire d’un geste de la patte.

Reconnaissant d’avoir eu la vie sauve, Naokata décida d’utiliser sa richesse et son influence pour améliorer la vie du moine et de l’animal, mais également pour restaurer le temple qui tombait alors en désuétude. Le Maneki Neko continue aujourd’hui d’y être vénéré, puisqu’on y trouve plusieurs centaines de statuettes à son effigie.

Ce chat pas comme les autres est également réputé pour ses qualités de protecteur. En effet, selon la légende, il veille sur les âmes des humains enterrés dans le cimetière entourant le temple et qui ont pris soin des chats. Certains d’entre eux ont d’ailleurs pris la décision de faire inscrire sur leur pierre tombale le nom de leur chat décédé, dans l’espoir de le retrouver au paradis du Bouddha.

 

Le chat est ainsi l’une des figures emblématiques de la culture japonaise. Tantôt aimé, tantôt adoré, tantôt craint, légende et folklore se mêlent à la sélection des races et à l’art pour en faire un animal incontournable. Et sans que nous en soyons toujours conscients, ce folklore a traversé les océans pour nous parvenir sous forme de diverses références. Nombre de films et de dessins animés y font allusion. Le chat-bus dans le film Mon voisin Totoro de Miyazaki, le pokémon Mentali ou Miaouss dans la série éponyme, les nombreux chats du film Le royaume des chats, de Hiroyuki Morita, les divers produits Hello Kitty, Maître Karin dans Dragon Ball, ou le personnage de Cait Sith dans le jeu vidéo Final Fantasy, tous font référence aux Bakeneko et Maneki-neko, ces chats aux pouvoirs surnaturels issus du folklore japonais.