MIAOU Comment, avant d’envahir Internet et nos foyers, les chats régnaient déjà en maître sur les bouquins du monde entier ?
Ils ronronnent sensuellement dans les vers Baudelairiens, diabolisent les lignes du chef-d’œuvre de Boulgakov Le Maître et Marguerite ou font le bonheur de Cocteau et de Colette. Bien avant de conquérir Internet, baptisé depuis Le Royaume des chats, le fieffé félin était la méga-star de la littérature, prouvant encore une fois si besoin était son désir de gouverner le monde. A tel point qu’à l’aune de cette nouvelle rentrée littéraire, on s’est demandé pourquoi cet animal rencontrait un tel succès dans les pages des auteurs du monde entier ?
On commence par l’aspect pratique avec Stéphanie Hochet, romancière et autrice de Eloge du chat et Eloge voluptueux du chat, nous dressant le portrait de l’animal : « Sa présence n’est pas intrusive, il dort beaucoup, parfois jusqu’à 20 heures par jour, il est apaisant. » Parfait compagnon à patte quand on a 3.000 pages à écrire et qu’on veut mettre la plume dans la plaie en toute tranquillité.
- S’il y a bien un animal que vous êtes certains de retrouver dans vos lectures, c’est le chat.
- Maléfique, bienfaiteur, rusé, espiègle, féminin, diabolique, le chat revêt autant de rôles qu’il ne séduit d’auteurs.
- Alors, d’où vient une telle fascination de la littérature pour le félin domestique ?
Ami et ennemi de lecture
Anne-Marie Chazal, professeur de lettres classiques et adoratrice de chats, abonde : « L’écriture est un travail de très longue patience, or le chat nécessite finalement peu d’effort et d’attention, il n’a pas besoin de vous. Ce n’est pas un hasard si de nombreux artistes apprécient cet animal, peu chronophage et énergivore, et disposant de la même patience qu’eux. » Si le chien est le meilleur ami de l’homme, le chat est donc le compagnon idéal pour les âmes artistiques. Echange de bon procédé oblige, les auteurs remercieraient le félin, cette figure de leur quotidien, en les incluant dans leur roman.
Emily Costecalde, blogueuse littéraire à chat au Café Powell, casse un peu le délire : « On imagine souvent comme image d’Épinal le lecteur, dans un fauteuil confortable, devant sa cheminée, un chat sur les genoux, en train de feuilleter un épais volume en cuir. Mais en réalité, qui a cette image en tête n’a jamais essayé de lire avec un chat, car quand je me pose avec un roman, mon chat fait tout pour m’en détourner : il me marche dessus, s’allonge entre le livre et moi, veut grignoter les pages. Le chat semble en rivalité permanente avec le livre, qui ose détourner son maître (son esclave ?) de sa délicieuse personne. »
Figure mystique
De toute façon, c’est bien beau tout ça, mais les cochons d’inde sont aussi très simples à vivre et à ce qu’on sache, ils n’inondent pas nos librairies. C’est que le chat a plus d’une griffe à son arc, et qu’en plus de la raison matérielle, c’est surtout spirituellement qu’il s’illustre (et se romance), n’en déplaise à nos rongeurs amateurs de roues. « Symboliquement, le chat est un animal mystérieux et entouré de mystères. Il a toujours eu un caractère divin dans les histoires de l’Homme. C’est un animal très difficile à saisir, ce qui fait sa fascination », conte Anne-Marie Chazal. Il suffit d’énumérer quelques mythes qu’on lui prête : les neuf vies, sa capacité surnaturelle à toujours retomber sur ses pattes, ses yeux comme reflet de l’univers et cette fameuse volonté de gouvernance mondiale… « Et puis le chat est un tueur, il a ce rapport particulier à la mort qui inspire les écrivains », conclut la professeure.
Autre fascination du romancier pour le mangeur de souris, son écart avec l’humanité : « William Burroughs, auteur de Entre chats, vivait entouré de ces animaux et se sentait comme eux. Il voyait dans le chien toute la laideur humaine, là où le chat incarnait la sauvagerie pure, l’absence d’humanité », explique Stéphanie Hochet.
L’écrivain est un chat pour l’Homme
En plus de ce côté brun mystérieux et ténébreux trop dark dont on ignore le passé, le félin se décline sous un vaste panel de symbolisme : « Selon les siècles et les civilisations, l’image du chat est très variable. Parfois vu comme maléfique, voire même le suppôt du diable, d’autres fois comme bon et généreux, tantôt sauvage, tantôt réceptacle de notre humanité. C’est à la fois le plus humain et le plus sauvage des animaux. Féminin chez Baudelaire, cruel pour La Fontaine, impertinent sous la plume de Joann Sfar, merveilleux selon Colette… », poursuit l’autrice. Au moment de composer son personnage-félin, l’écrivain n’a que l’embarras du chat (ne nous jugez pas, on a eu une journée difficile).
Sous la griffe de l’auteur, le chat a donc revêtu bien des rôles et des symboliques, mais s’il est un personnage que l’animal incarne mieux que les autres, c’est bien l’écrivain lui-même. Stéphanie Hochet dans un presque troisième éloge : « L’auteur se plaît à se reconnaître dans le chat, un peu misanthrope, insaisissable, mystérieux, décalé du monde, aimant la solitude et l’indépendance, confiné ni à l’extérieur ni à l’intérieur ».
Pour Emily Costecalde aussi, la métaphore est évidente : « Ce côté solitaire, et en même temps ce besoin d’être admiré… pas étonnant que les auteurs s’entourent souvent de chats ! » On laisse Anne-Marie Chazal conclure de fort belle manière : « Quand il se repose, le chat semble réfléchir, calculer une stratégie. Cette intelligence toujours vive plaît forcément à l’ego des écrivains. C’est l’imaginaire du chat qui veut gouverner le monde. N’est ce pas au fond le but de l’écrivain, gouverner un monde qu’il a créé de sa plume ? »
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